Mon premier vrai contact avec le soccer remonte à l’année 1994, j’étais alors un jeune reporter au réseau de télévision TVA à Montréal, je m’étais accrédité pour la grande finale de l’APSL remportée par l’Impact de Montréal contre les Foxes du Colorado. Je revois encore le sourire de l’entraîneur Valério Gazzola, comme si c’était hier. Ensuite, j’ai toujours gardé un œil sur ce sport même si je n’y connaissais pas grand-chose, l’aventure du soccer intérieur, les visites à Montréal de l’AC Milan, Bordeaux, Lyon, AS Roma, le cauchemar de Santos Laguna… j’ai vécu cela.

Puis en 2012, pour l’entrée en MLS, je me suis acheté deux billets de saison dans l’optique d’y aller 5-6 fois dans la saison et de donner les autres entrées à mes clients. Je n’ai jamais donné de billets à mes clients. Je suis tombé sous le charme, l’Impact et les prouesses de Di Vaio, Piatti, Ciman, Drogba, Bernier et j’en passe, j’étais un abonné du Stade Saputo et nous étions une famille de fans finis de la première heure lors de l’arrivée en MLS.

C’est probablement pourquoi mes enfants sont tombés amoureux de ce sport et chacun de leurs côtés, ils ont décidé de jouer pour imiter leurs idoles. Ainsi donc, depuis une douzaine d’années, je consacre nombre de mes soirs et week-ends aux abords des terrains de soccer parcourant des milliers de kilomètres annuellement. Mes trois dernières années l’ont été sur les nombreux terrains de partout en Espagne.

J’ai découvert ici le «futbol» une religion à mon avis, encore plus forte que celle du hockey pour les Québécois. Je vous partage ici mes perceptions de père de joueurs de foot.

Nos jeunes sur les terrains espagnols
D’abord, notre garçon Émile, il a joué deux ans pour un club de Valence. Dans sa ligue et son niveau, il y avait … 242 clubs en Juvénile B … et il y avait aussi du Juvénile A. Le niveau des garçons de 16-17 ans est vraiment impressionnant, même les petits de 5-6-7 ans sont spectaculaires par leur positionnement déjà acquis sur le jeu et les passes franches. Émile a surtout joué pour s’amuser, garder la forme et s’intégrer à la nouvelle culture comparativement à sa soeur qui était en mission…

Notre fille Roxanne, passionnée depuis toute petite, qui a porté des maillots de soccer toute sa jeunesse, nous raconte depuis qu’elle a 7 ans, qu’elle veut devenir une joueuse professionnelle.

Roxanne est passée par tous les niveaux au Québec puis par les programmes de sélection régionales, CDR et PSR mais la Covid et l’annulation des Jeux du Québec l’a sortie du radar de recrutement même si elle avait eu une permission de l’association de soccer de la région de Québec de jouer dans une ligue de garçons en U15.

Grâce à un recruteur et agent, devenu un ami que nous connaissions à Valencia, Roxanne a fait connaissance avec le futbol ici en intégrant le CFF Maritim, un club local uniquement féminin.

Il a fallu des mois pour qu’elle puisse jouer des matchs fédérés car le processus de transfert de licence a nécessité cinq longs mois d’échange de documents même avec une double nationalité française et canadienne. La FIFA a des règlements très stricts pour les mineurs.

Pendant cette attente, Roxanne a pu s’entraîner 3-4 fois par semaine avec deux groupes et jouer 2-3 matchs hors concours. Son style de jeu canadien axé sur l’attaque et très vertical a impressionné la galerie pendant 5 minutes avant que le coach de l’autre côté neutralise notre fille avec un alignement technique qui nous a fait comprendre que nous étions ici pour apprendre. Bienvenue en Espagne!

Jouer au foot en Espagne, c’est comme entrer dans le gym de Rocky Balboa à Philadelphie, du moment que tu mets les pieds sur le terrain, il se passe quelque chose d’inexplicable, cela sent le « futbol ». Les stades respirent l’histoire, le dépassement, il faut le voir pour le comprendre.

À lire : Une Québécoise parmi la relève Espagnol du soccer.

Depuis, il s’est passé beaucoup de choses…
À sa troisième saison en Espagne, notre jeune athlète, dotée d’une passion peu commune a été si on peut dire « reconstruite techniquement » dans sa façon de jouer. Ses entraîneurs ont calmé son jeu, elle est maintenant une joueuse plus patiente avec le ballon. Les entraîneurs ont vu dans ses qualités individuelles, un grand potentiel de défense centrale, forte physiquement, capable de monter le ballon et de percer le milieu et d’y aller de passe tranchante, un scénario que ma fille n’avait jamais envisagé depuis qu’elle a commencé à jouer à l’âge de 5 ans, elle qui a toujours été une joueuse portée sur l’attaque qui remplissait le filet.

Aujourd’hui, Roxanne vient d’avoir 16 ans à la fin décembre, elle porte les couleurs de Levante UD, une des meilleures équipes féminines en Europe, elle joue dans la 3e équipe de l’organisation et évolue en Tercera Federation (D2), c’est un niveau semi-professionnel, le 3e niveau le plus élevé en Espagne là où se trouve plusieurs équipes réserves des pro de la Liga F. Cette année, elle a pu jouer contre des équipes comme Le Real Madrid, l’Atlético Madrid, FC Barcelone, Arsenal et j’en passe.

Ses entraîneurs ont beaucoup travaillé sa prise de décision rapide avec le ballon, lacune souvent reprochée aux nord-américains. Même si elle a encore beaucoup à apprendre, elle est devenue une vraie défenseure centrale malgré sa courte expérience à cette position. Depuis sa sélection en juin 2022  à la suite d’un essaie avec Levante UD, tout a déboulé très rapidement.

Des sélections avec l’équipe de la communauté Valencienne U17 puis la fédération française de football (FFF) a été intéressée par son jeu. Roxanne a été invitée à passer des tests dans la région de Toulouse (Pôle de Castelmaurou) en juin dernier. Comme toute la famille, Roxanne a la double nationalité canadienne et française.

Puis en août, un événement qui va marquer notre famille à jamais, une convocation avec l’équipe nationale de France U17. Roxanne a joué son premier match international en septembre dernier avec les Bleuettes, 90 minutes de jeu en défense centrale lors de la victoire de 2-0 contre l’Irlande du Nord à Belfast. Un rêve, on se pince encore. Voir notre fille chanter La Marseillaise à la télé et la voir toucher son premier ballon en début de match fut un moment d’une émotion très intense. J’en tremble encore à regarder les images.

À voir : France U17 vs Irlande du Nord (Actions de Roxanne Bolduc)

Est-ce que Roxanne aurait vécu la même chose avec le parcours québécois? Poser la question, c’est y répondre.

Roxanne Bolduc avec l’équipe de France U17 à Belfast en Irlande du Nord.

Le ballon bouge vite en Espagne
Les entraînements sont très différents de ce que nous avons connu au Québec par le passé. Par exemple, si l’entraînement est d’une durée de 90 minutes, vous ne verrez pas une seule joueuse au repos ou dans une ligne derrière une autre joueuse en attendant son tour dans un exercice. Le ballon circule toujours, tout le temps. On peut passer des heures sur une séquence de jeu, tant que ce n’est pas accompli avec précision. Deux autres éléments notables, un 45 minutes de force avec des poids complète ou ouvre chaque entraînement et beaucoup de temps est accordé à l’amélioration et la résistance cardiovasculaire. Un entraînement de foot, c’est deux heures minimum, 3 à 4 fois par semaine en plus d’un match, une saison de presque 11 mois sur 12.

En quoi le « futbol » espagnol est si différent?
Un jeu de passes courtes, un contrôle précis du ballon, une grande importance accordée à la possession du ballon et au collectif. L’Espagne possède des académies de jeunes de renommée mondiale comme La Masia du FC Barcelone, La Fábrica du Real Madrid et une que je connais bien, celle de Levante UD à Valencia que fréquente ma fille depuis deux ans. Parfois, j’aimerais que le jeu soit plus vertical mais c’est comme cela ici. Les ballons longs sont rares, les tirs aux buts sont parfois trop peu exploités mais pour le reste, c’est beau à voir.

Le recrutement de talents ne s’arrête jamais !
Au Québec, il y a peu d’opportunités pour les joueurs talentueux, tandis qu’en Espagne, c’est une autoroute à multiples voies d’accès. Les clubs ont des yeux partout dans les villes et villages, car le talent peut éclore à 15, 16, 17, 18 ans et même plus dans certains cas. En Espagne, tu peux entrer dans un club formateur et être viré l’année d’après, puis rebondir ailleurs. Ce n’est jamais terminé, car il y a des dizaines de portes d’entrée. Au Québec, si l’Académie du CF Montréal ne te recrute pas, tu vas devoir ramer fort pour envisager une carrière professionnelle. Il faudra espérer trouver une bonne université américaine et performer pour se faire remarquer.

Devenir professionnel change une vie !
Autre élément très important, si tu deviens pro en Espagne, tu peux changer ta vie et celle de ta famille. Cela s’applique aux joueurs mais aussi aux entraîneurs qui débutent. Tout le monde veut grimper l’échelle, alors le sérieux est dans toutes les actions. La motivation est incroyable, on la ressent et on en vibre. En Europe, les recruteurs et les agents sont partout, les meilleures équipes cherchent les meilleurs joueurs.

Au Québec, nous étions des parents intenses et impliqués, ici nous sommes… normaux. On comprend que la réussite d’un jeune repose aussi sur l’implication des parents, un accompagnement mental, une épaule pour s’appuyer dans les moments difficiles.

Les Espagnols aiment bien le Canada
Souvent, des entraîneurs en Espagne m’ont dit qu’ils aimeraient venir aider dans le développement du soccer au Canada. Travailler à la base pour bâtir un vrai style de jeu canadien, une identité de jeu qui serait reconnue car enseignée très jeune.

J’ai eu une discussion récemment avec un directeur technique en Espagne et il me disait ceci. « Vous au Canada, peu importe le niveau, vous avez d’excellents joueurs mais surtout des bons athlètes. Votre problème, vous n’avez pas d’identité de jeu, vous êtes facile à lire pour un coach adverse, il peut s’ajuster en 2 minutes. J’ai vu vos U17 à la CDM, ils sont bons mais ne savent pas jouer ensemble, vous formez au Canada des « individuels » mais qui sont faibles en prise de décision avec le ballon. Si vous appreniez à jouer collectivement dès le jeune âge avec un vrai système de jeu, vous seriez une top nation au monde. Tant que vous ne règlerez pas cela, vous ne gagnerez jamais contre les pays de « foot » et vous ne formerez que très peu de joueurs pour l’Europe. Vos jeunes sont perdus quand ils arrivent ici et doivent réapprendre pas mal de choses. »

À mon humble avis, le Canada doit développer sa culture soccer et s’inspirer du modèle espagnol, axé sur le développement technique, tactique et l’appliquer RELIGIEUSEMENT dans toute sa structure de formation. Une plus grande patience dans la construction du jeu permettrait de réduire les pertes de balle et mieux alimenter la force offensive et surtout diminuer la pression sur la défensive. Je pourrais parler aussi de la formation en France mais je crois que je Canada a besoin de viser l’autre extrême du jeu collectif pour se rapprocher d’une zone gagnante.

Le Canada, malgré quelques réussites au niveau féminin aura beaucoup de travail à faire pour rester dans la course. Même avec la participation du Canada à la Coupe du Monde chez les hommes et la médaille d’or féminine aux Olympiques de 2020, le niveau technique canadien requiert une mise à niveau urgente dans la formation s’il veut survivre parmi l’élite mondiale et cette mise à niveau doit se faire dans le développement des jeunes avec des formateurs de qualité qui appliquent une uniformité leurs enseignements de Vancouver à Halifax.

L’échec du Canada lors de la dernière Coupe du Monde féminine devrait sonner l’alarme de Canada Soccer. Les autres continents, qu’il s’agisse de l’Europe, de l’Amérique du Sud, de l’Afrique ou même de l’Asie, ont renforcé leur engagement envers le football féminin. Il faut qu’il y ait plusieurs académies comme le CF Montréal partout dans les grandes villes.

Nous ne manquons pas de grands talents au Canada, les Lawrence, Buchanan, Fleming, Leon, Lacasse, Gilles, Viens, Huitema et plusieurs autres. Cependant, comment harmoniser ces talents venus de différents horizons et styles de jeu disparates pour créer une véritable synergie? Une véritable identité de jeu typiquement canadienne comme l’Espagne et l’Angleterre.

Chez les hommes, la dernière coupe du monde au Qatar et la dernière coupe du monde chez les U17 a clairement mis à en évidence nos carences face à l’élite mondiale de l’avenir.

On sait maintenant comment fabriquer des Davies, David, Larin, Eustáquio ou Buchanan mais comment les faire jouer ensemble avec les autres joueurs du programme et développer une véritable identité canadienne au soccer.

En 2023, le Canada compte 825 000 joueurs et joueuses de soccer affiliés, c’est un sacré potentiel!

Il serait temps d’établir une vrai base durable et solide pour développer le soccer canadien pour rivaliser avec le continent d’en face.

Former des coachs, donner plus de responsabilités aux meilleurs techniciens pour qu’ils appliquent la méthode canadienne uniformément, celle qui traverserait le temps et forgerait l’identité de nos équipes nationales.

C’est peut-être en Espagne que se trouve la méthode, la recette gagnante.

Guy Bolduc

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